Cyril m’a rendu visite dans le magasin-conseil attenant à notre atelier à Roubaix. Nous y recevons tous les jours beaucoup de personnes différentes pour des diagnostics personnalisés en oreillers, la plupart du temps sur rendez-vous.
J’aime avoir toute mon attention et ma disponibilité pour chacun, généralement des personnes en quête de solutions de confort encore imprécises, qui nous sont souvent envoyées par le corps médical, médecin, kiné, ostéo, et chiropracteur. Nos accès sont homologués pour les personnes handicapées en fauteuil.
Une consultation demande facilement une demi-heure, on fait le point, je pose beaucoup de questions, après quoi j’invite à un essai allongé d’un premier oreiller, sans manteau, sans écharpe et sans pullover. Je n’aime pas en faire essayer plus de deux, souvent le premier pourrait suffire par expérience, mais je me méfie des trop grandes évidences, on a parfois des surprises, un modèle à l’antithèse du premier peut être une révélation incroyable au premier contact.
Entrer dans notre univers sans préjugés
Comme quoi il faut aborder la question de l’oreiller sans préjugé, vraiment aucun, et prendre le parti d’oublier tout ce que le grand commerce et votre entourage bienveillant vous a raconté ou programmé à croire. On peut venir chez nous dans l’idée de trouver un petit nuage léger, douillet et un tant soit peu coûteux, et on repart avec un oreiller de 4 ou 5 kg en rembourrage agricole pour un prix modique. L’essentiel, c’est que l’article qu’on décidera soit le prolongement de vous-même, votre meilleur ami pour longtemps, et vous pourriez passer à côté toute votre vie à défaut de vous mettre en situation de le découvrir.
Le cas de Cyril est tout à fait classique et fait partie d’une typologie précise et courante : grand, épaules bien développées, costaud, sportif, dormant principalement sur le côté, mais petit cou. C’est une sorte de carré qu’il nous faut, une forme en équerre, consistante et assez haute, pour un calage net et précis dès la base de la nuque. Rien de surprenant à ce qu’il se soit trouvé bien plus jeune sur un traversin, la cale ancienne par excellence des cous rentrés.
Constat d’échec dans le grand commerce
Aucun oreiller du commerce courant ne convient pour lui, il a tout essayé, le bras vient trop souvent à la rescousse pour compenser ce que l’oreiller ne procure pas : une portance suffisamment haute. Vous n’avez aucune chance d’y parvenir avec du polyester, ou alors vous le roulerez en boule et c’est un vrai rouleau à pâtisserie que vous vous préparez à supporter.
Une jolie bagarre aussi en perspective pendant toute la nuit parce que la forme ne tient pas et que les bras travaillent et s’ankylosent quand ils finissent par supporter la tête à eux seuls. Deux oreillers superposés n’y changeront rien, une tour de Pise instable et désespérément molle et flasque.
On en revient toujours à la physique des matériaux. Cyril veut quelque chose de souple, résilient, à course courte en descente sous la compression, et suffisamment haut pour soutenir sa tête dans l’alignement de sa colonne. Dans un cas comme le sien, c’est l’oreiller en laine vierge en format 50×70 cm qui fera l’affaire, une bénédiction pour des individus de ce profil.
La laine de mouton est travaillée en petites boules, c’est une merveille avec seulement 40 grammes par litre, mais quel maintien ! Une variante existe en plumette d’oie à haute densité de rembourrage, ce sera le deuxième et dernier oreiller de l’essai. L’un comme l’autre ne le lâcheront pas en cours de route, avec une portance infaillible et d’entrée à la bonne hauteur pour longtemps.
Le ressenti personnel comme ultime critère de choix
C’est Cyril qui aura le dernier mot entre les deux, au feeling, car vous pouvez raconter tout ce que vous voulez sur un oreiller, quelles que soient ses propriétés physiques, plastiques et géométriques, c’est le ressenti intime qui l’emportera, au toucher, au froissement, à l’odeur… je ne crois pas qu’un seul de nos cinq sens n’ait pas en réalité quelque chose à voir dans cette quête de notre doudou existentiel.
L’oreiller est bien notre clef de voute, notre pierre angulaire. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle aussi en architecture « oreiller » le coussinet de chapiteau qui couronne les colonnes antiques et leur transmet la charge qu’elles devront supporter… à chacun son petit Panthéon !